Les sutures occupent une place essentielle dans les soins d'urgence en milieu préhospitalier. Pour les secouristes, ambulanciers, et membres d'associations humanitaires comme la Croix-Rouge, la maîtrise de cette compétence peut faire la différence dans la prise en charge initiale de blessures ouvertes. Une intervention rapide et adaptée permet non seulement de prévenir les infections et de limiter les complications, mais aussi d'assurer un meilleur pronostic pour les patients avant leur transfert vers une structure médicale.
Cependant, plusieurs questions subsistent quant à l'utilisation des sutures dans ce contexte : dans quelles situations sont-elles réellement nécessaires ? Quels outils et matériaux privilégier sur le terrain ? Et surtout, quelles alternatives peuvent être envisagées lorsque les ressources sont limitées ?
Cet article a pour objectif de répondre à ces interrogations en fournissant des conseils pratiques et des solutions adaptées aux réalités du terrain. En s'appuyant sur des recommandations médicales et des retours d'expérience, il vise à mieux équiper les intervenants pour faire face à ces situations critiques.
Le cadre légal des sutures
En France, la pratique des sutures en milieu préhospitalier est strictement encadrée par des lois et réglementations qui définissent précisément les rôles et compétences des intervenants selon leur statut professionnel. Ces cadres visent à garantir la sécurité du patient tout en évitant tout exercice illégal de la médecine.
Obligations et cadre réglementaire
- Arrêté du 6 mars 2020 :
Cet arrêté permet aux infirmiers diplômés d’État (IDE) de réaliser des sutures simples, limitées aux plaies superficielles, sous réserve d'une formation spécifique sur la gestion des plaies. Les infirmiers diplômés de bloc opératoire (IBODE) bénéficient de compétences élargies, leur permettant d'intervenir dans des cas plus complexes, en collaboration avec des chirurgiens ou sous supervision médicale directe. - Loi Rist – Article 2 de la loi n° 2023-379 du 19 mai 2023 :
Cette loi a modifié l’article L.4311-1 du Code de la santé publique en élargissant les compétences des infirmiers dans certains contextes spécifiques. Elle précise que les actes médicaux délégués, tels que les sutures, peuvent être réalisés par les infirmiers dans des situations d’urgence ou dans le cadre de protocoles écrits validés par les autorités de santé. Cela inclut notamment des interventions préhospitalières, à condition que des formations adaptées aient été suivies. - Exercice illégal de la médecine :
Toute personne réalisant une suture sans être habilitée par la loi s'expose à des poursuites pénales pour exercice illégal de la médecine (articles L.4161-1 et suivants du Code de la santé publique). Les actes réalisés hors cadre autorisé ou sans formation reconnue peuvent entraîner des sanctions sévères, particulièrement en cas de complications médicales.
Les considérations éthiques
Outre le cadre légal, des principes éthiques doivent guider la pratique des sutures en milieu préhospitalier :
- Consentement de la victime :
Avant toute intervention, il est indispensable d’obtenir l’accord de la victime, sauf en cas d’inconscience où l’on présume un consentement implicite. Le professionnel doit expliquer clairement :
- La nécessité de la suture ou de tout traitement proposé.
- Les risques potentiels (infection, douleur, etc.).
- Les éventuelles limitations dues à l’environnement préhospitalier.
- Limiter les interventions non urgentes :
- Les sutures doivent être réservées aux cas urgents où l’absence de prise en charge immédiate pourrait entraîner des complications graves (hémorragie, risque élevé d’infection, etc.).
- Les intervenants doivent veiller à ne pas pratiquer des gestes invasifs qui pourraient aggraver la situation en cas de conditions non stériles ou de ressources limitées.
- Priorité à la sécurité du patient :
Lorsque les conditions d’asepsie ou les compétences nécessaires ne sont pas réunies, il est préférable de stabiliser la blessure et d’organiser un transport rapide vers une structure médicale.
Qui peut intervenir et dans quelles conditions ?
- Secouristes (Croix-Rouge, Protection Civile, etc.) :
- Les secouristes ne sont pas autorisés à réaliser des sutures, quelle que soit la gravité ou la taille de la plaie. Leur rôle se limite à :
- Nettoyer et désinfecter les plaies.
- Contrôler les saignements (par compression ou pansements hémostatiques).
- Protéger la plaie à l'aide de pansements stériles pour éviter une contamination jusqu'à la prise en charge par un professionnel habilité.
- Les organisations telles que la Croix-Rouge ou la Protection Civile jouent un rôle essentiel en milieu préhospitalier, mais elles doivent systématiquement orienter les blessés nécessitant une suture vers un médecin ou un infirmier compétent.
- Ambulanciers :
- Les ambulanciers ne disposent ni de la formation ni de l'autorisation légale pour pratiquer des sutures, même sur des plaies simples (petites ou superficielles).
- Leur rôle est de :
- Stabiliser le patient en contrôlant les hémorragies par des techniques non invasives (compression ou pansement).
- Transporter rapidement la victime vers un établissement de soins.
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- Médecins :
- Les médecins sont pleinement compétents pour pratiquer toutes les sutures, qu’elles soient simples ou complexes.
- En milieu préhospitalier (SMUR, intervention sur le terrain), les médecins peuvent décider de réaliser une suture lorsque cela est nécessaire pour stabiliser un patient avant son transfert.
Liste du matériel de base pour une suture
Que doit contenir un kit de suture portable ?
- Kit de suture portable :
- Fils de suture :
- Fils résorbables (polyglactine ou catgut chromé) pour éviter le retrait ultérieur.
- Fils non résorbables (nylon, soie) pour une meilleure tenue dans les plaies complexes.
- Pansements spécifiques :
- Pansements pour sutures : conçus pour maintenir la plaie propre et protéger les points de suture.
- Pansements pour points de suture : réduisent les tensions sur les fils, favorisant une meilleure cicatrisation.
- Matériel d’asepsie :
- Antiseptiques cutanés (chlorhexidine, bétadine).
- Compresses stériles.
- Gants stériles à usage unique.
- Champs stériles pour couvrir la zone de suture.
Produits alternatifs pour un traitement temporaire
En cas d'impossibilité de réaliser une suture classique sur le terrain, des solutions temporaires peuvent être utilisées pour fermer ou stabiliser une plaie :
- Colles médicales :
- Utiles pour des plaies superficielles ou linéaires. Elles permettent une fermeture rapide et offrent une barrière contre les infections.
- Bandes adhésives :
- Des bandes comme les Steri-Strips peuvent être appliquées pour maintenir les bords de la plaie rapprochés sans avoir recours à une suture invasive.
- Strips ou pansements renforcés :
- Conviennent pour stabiliser les plaies dans des zones à faible tension.
- Idéales pour des plaies avec saignements importants en attendant un traitement plus avancé. Elles permettent de limiter les pertes sanguines tout en réduisant le risque d’infection.
Disposer d’un kit de suture portable et de solutions alternatives est indispensable pour les secouristes opérant en milieu préhospitalier. Une bonne préparation permet de répondre efficacement à une large variété de blessures, en tenant compte des limites du terrain et des besoins spécifiques des patients.
Techniques et méthodes de suture adaptées au terrain
En milieu préhospitalier, les techniques de suture doivent être simples, rapides et adaptées aux ressources limitées du terrain. L’objectif est de stabiliser la plaie tout en minimisant les risques d’infection, en attendant une prise en charge définitive dans un établissement médical.
Techniques de suture simples
Les méthodes utilisées en milieu préhospitalier privilégient des gestes faciles à apprendre et efficaces dans des conditions non idéales :
Technique |
Description |
Avantages |
Inconvénients |
Matériel requis |
Point simple |
Méthode de base pour rapprocher les bords de plaies linéaires ou peu profondes. |
Rapide à exécuter, efficace pour la plupart des plaies courantes. |
- |
Aiguille courbée, fil de suture (résorbable ou non). |
Suture en surjet |
Un fil unique passé en continu pour fermer rapidement des plaies longues. |
Réduit le temps de suture, adapté aux plaies étendues. |
Plus difficile à retirer si le fil n’est pas résorbable. |
Aiguille courbée, fil de suture (résorbable ou non). |
Agrafes médicales |
Solution rapide pour fermer des plaies droites, en particulier sur le cuir chevelu ou les membres. |
Faciles à poser, gain de temps, faible risque de décrochage des bords. |
Nécessitent un extracteur spécifique pour le retrait. |
Agrafeuse médicale, extracteur d’agrafes. |
Adhésifs médicaux (colles) |
Conviennent pour des plaies superficielles sans tension. |
Rapides, indolores, pas de suture invasive nécessaire. |
Moins efficaces pour les plaies profondes ou sous tension. |
Colle médicale adaptée à l’usage médical. |
Focus sur la technique de la suture en surjet
La suture en surjet est une technique rapide et efficace pour fermer des plaies longues en utilisant des points continus. Idéale en milieu préhospitalier, elle permet de répartir la tension sur la plaie tout en gagnant du temps. Toutefois, elle nécessite une formation adéquate pour éviter des complications comme l'infection ou un serrage excessif. Cette méthode est souvent temporaire et doit être vérifiée à l’hôpital.
Prévention des infections
L’asepsie est une priorité, même dans des environnements où les ressources sont limitées. Voici des pratiques essentielles :
- Techniques d’asepsie avec un kit limité :
- Port de gants stériles : réduire au maximum le contact direct avec la plaie.
- Utilisation d’antiseptiques cutanés :
- Nettoyer la plaie avec une solution comme la chlorhexidine ou la bétadine.
- Assurer un rinçage abondant avec du sérum physiologique ou de l’eau propre pour éliminer les débris.
- Champ stérile : utiliser un champ jetable pour isoler la plaie.
- Désinfection et stérilisation du matériel sur le terrain :
- Si du matériel réutilisable est utilisé (ex. : pinces, porte-aiguille), il doit être stérilisé.
- Méthodes temporaires sur le terrain :
- Immersion dans une solution antiseptique.
- Stérilisation à l’alcool à 70 % ou par chauffage, si les conditions le permettent.
- Utilisation de matériel à usage unique chaque fois que possible.
Suivi des sutures et signes d’alerte
Après la réalisation d'une suture, un suivi est crucial pour détecter les signes d’infection ou d’éventuelles complications de cicatrisation. Il est important de savoir quand orienter la victime vers un hôpital pour un traitement plus approfondi.
Aspect du suivi |
Description |
Signes d’alerte |
Action recommandée |
Signes d’infection |
Les infections sont fréquentes en cas de plaies contaminées ou d’asepsie insuffisante. |
- Rougeurs autour de la plaie. |
Orienter immédiatement vers un hôpital pour évaluation et mise en place d’un traitement antibiotique. |
Problèmes de cicatrisation |
La plaie peut présenter des difficultés à se refermer correctement en raison de tensions ou d’infections. |
- Échec de la suture (bords qui se rouvrent). |
Réaliser une révision de la plaie dans un centre médical pour une éventuelle réintervention ou débridement. |
Complications liées à la suture |
Les fils, agrafes ou adhésifs peuvent causer des irritations ou des réactions allergiques. |
- Irritation de la peau (rougeurs autour des points). |
Enlever les points ou changer le type de matériel utilisé sous supervision médicale. |
Évaluation globale |
S’assurer que la plaie évolue bien vers une cicatrisation complète. |
- Persistance de douleurs ou d’inflammation après 48-72 heures. |
Consulter un professionnel de santé pour suivi et conseils appropriés. |